Membres honoraires

– Message de Caroline Sei So Depeault –

Monique était une femme surprenante, une pratiquante surprenante.

Elle est née d’une famille qui l’avait d’abord initiée au Zen de manière intellectuelle. Elle a connu le yoga très jeune (à l’âge de treize ans, auprès d’une petite fille contorsionniste) et n’a cessé de le pratiquer même en faisant zazen, qu’elle qualifiait, à la manière yogi, de « posture parfaite », la dernière que Bouddha aurait prise avant de s’éveiller, après son séjour chez les ascètes.

Zazen, pour elle, c’était le lotus complet, mais non comme un dogme, plutôt comme un idéal vers quoi tendre. Elle se rappelait les paroles de notre premier maître Zen: « Si tu fais zazen à moitié, la moitié qui ne pratique pas va hurler. » Et c’est à lui qu’elle avait promis de s’asseoir tous les jours « même si elle ne comprenait pas », ce qu’elle a fait jusqu’à la toute fin de sa vie.

Elle adorait chanter les sutras et croyait dans la force des sons des langues anciennes à nous communiquer directement l’enseignement traditionnel, sans passer par la mentalisation excessive des concepts. Bien sûr, elle s’identifiait plus facilement à Eno qu’à Jinshu. Elle préférait par-dessus tout la phrase: « Qu’un grand ciel vide et pas de satori ». Elle connaissait bien les textes Zen, mais n’en laissait rien paraître, préférant les incarner, en sa manière d’interprète, de comédienne, privilégiant l’expérience, par le corps, direct. Shin jin datsu raku, datsu raku shin jin était son mantra et aussi « Descendre les pensées dans le bas-ventre » ou « Abandonnez toutes tensions inutiles ».

Sa vie personnelle était éprouvante, et ceci, dès l’enfance. Elle se retrouvait beaucoup en Kodo Sawaki qui avait eu, lui aussi, une histoire difficile. Elle utilisait ses formules abruptes, parfois lapidaires pour revigorer sa pratique.
Je crois que ces difficultés l’ont amenée à vivre sa vie en s’ouvrant sans cesse à ce qui est, s’efforçant de rester présent à l’instant, même douloureux, essayant de déranger le moins possible avec son ego.

Elle ne faisait pas état de sa pratique, préférant que le silence parle de lui-même. Ce silence amical et ouvert lui permettait d’accueillir l’autre de manière inconditionnelle. Beaucoup pourront vous dire qu’elle était leur meilleure amie. Elle a toujours été d’une grande aide pour les pratiquants débutants, voyant tout de suite leur lumière, croyant sincèrement à l’importance de leur pratique. Quant aux anciens, ils pourront vous dire qu’elle leur donnait du fil à retordre. Son esprit original, un peu rebelle, la faisait souvent un peu briller parmi les autres. Et à ceux qui croyaient être arrivés à quelque chose dans le Zen, elle ne faisait pas de cadeau. Ou plutôt, elle les aidait à sa manière à se décharger de l’ambition, qui arrive tôt ou tard, dans n’importe quel groupe humain. Elle vous dirait qu’elle ne faisait pas cela consciemment. Elle aurait raison.

Elle cherchait toujours à apprendre, se rendant plusieurs fois en Europe pour s’imprégner des pratiques des uns et des autres, aller à la rencontre de ce qui se fait en Occident. Elle avait vraiment cette intention de voir comment pratiquer le Zen au Québec, avec notre culture nord-américaine, nos mélanges avec les cultures autochtones, de même que nos rapports privilégiés avec les cultures francophones d’Europe. Quand nous avons trouvé la Sangha de la « Communauté Zen de Québec », on a été émerveillées de ce qui se pratiquait là, cette belle communauté de pratiquants ouverts aux différences, une vraie communauté laïque qui accueille les individualités spirituelles de manière syncrétique tout en épousant la plus pure tradition Zen dans toute sa souplesse originelle, avec sa capacité à se fondre dans les cultures qu’elle rencontre. Ce trésor se trouvait sous nos pas, à quelques coins de rue de nos résidences respectives. Il a quand même fallu faire le tour du monde pour le découvrir.

Monique, c’était un beau miroir, un beau miroir brillant qui va à la rencontre, reflétant tout naturellement les bons et les moins bons aspects de ce qui se présentait devant elle. Et c’est aussi pour cela qu’on peut dire qu’elle était une grande soeur du Zen exemplaire, une grande enseignante. Je lui suis extrêmement reconnaissante de nos 30 années de pratique commune. C’est quelqu’un qui m’a donné tellement confiance en la vie. En la vie et en la pratique du Zen, ce qui est probablement la même chose. Monique, tu mérites haut la main ton titre de membre honoraire de cette communauté, même si, je le sais, ça aurait un peu dérangé ton orgueil. Allez chère amie, Gaijo. Assez parlé. Sempaï… et kampaï!

Caroline Sei So Depeault

– Message de Benoît Koya Senécal –

Monique a quitté ce monde de poussière le 13 mai 2023 vers 13h30, à l’âge de 71 ans. Elle est décédée dans le calme et la sérénité, tel qu’elle le souhaitait en présence, entre autres, de Caroline Depeault, fidèle amie depuis plus de 30 ans.

J’ai connu et pratiqué le Zen avec Monique en 1989 au Dojo Zen de l’Association Zen Internationale – La pratique Zen Deshimaru – sur la rue Marchant à Québec, et ce jusqu’en 1994. Par la suite, chacun a suivi son chemin.

Quels furent ma joie et mon étonnement de la retrouver et de pratiquer avec elle et sa fidèle consœur Caroline Depeault ces dernières années au Dojo de la Communauté Zen de Québec.

Monique fut pour ma part, une grande pratiquante de la voie, exprimant dans la plus grande discrétion le cœur même de la foi (Kyo) et de la pratique (gyo) du Zen. Comme les grands maîtres Zen, parfois les plus anonymes, sa seule présence au Dojo témoignait de l’essence Zen, et ce dans une simplicité toute naturelle, sans flafla… ni tambour et trompette, en toute humilité. Si une parole était prononcée, elle était directe, courte et juste. Tout en étant elle-même, sans superflu, elle avait coutume de ne laisser aucune trace après son passage, pourtant dans ce silence laissé par la simple assise, le parfum de la voie de l’éveil qui émanait, le fût par sa seule présence qui nous guidait sur le chemin…me guidait sur la voie de l’éveil. Quelque part, elle nous montrait que le seul obstacle de l’éveil, c’est toujours nous-mêmes, là où l’on cherche toujours à obtenir quelque chose. Bref, lorsque l’on réalise qu’il n’y a rien à obtenir, dans sa pratique, dans son rapport aux autres et même dans la vie, l’éveil se réalise de lui-même… Ha! oui, que cela nous demande beaucoup de vigilance, de lucidité, d’honnêteté et d’humilité… dans la pratique de l’assise comme dans la vie de tous les jours.
Merci! encore et encore Monique Koyu Ming Pai Vigneault.

Personnellement, je partage et ai toujours partagé avec elle à la fois le côté mystique et très concret de la voie du Zen où toute la beauté du monde se retrouve dans les gestes les plus simples dénudés d’Égo… Être juste dans la seule présence au monde, sans plus! Les fleurs sont toujours belles, car elles ne savent pas qu’elles sont belles, tout en beauté… Elles le sont simplement, sans artifice, sans devenir, éphémères comme la vie!

Merci infiniment Monique,
I shin den shin
De mon coeur à ton cœur.

Je suis et pour plusieurs, reconnaissant de ton passage sur cette terre emplie de sagesse et compassion, de pure présence et de bienveillance, d’humanité, d’humilité et de simplicité, mais que nous ignorons toujours encore et encore…
Sempai !

Benoît Koya Senécal, moine zen
Président et directeur spirituel de la Communauté Zen de Québec.